L'évaluation du salarié, qui constituait un droit de l'employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, afin de s'assurer de la bonne exécution du travail commandé et pour lequel le salarié était payé, est devenue une quasi obligation.
L'évaluation du salarié ne constitue pas une obligation inscrite dans un texte impératif mais résulte de la jurisprudence qui s'est peu à peu ébauchée.
Ainsi, pendant l'exécution du contrat de travail, l'employeur ne sera légitime à notifier au salarié son mécontentement quant à l'exécution par lui de ses fonctions qu'en étant capable de prouver que cette décision est la conséquence d'une évaluation objective de ses compétences professionnelles
Pareillement, le licenciement pour insuffisance professionnelle est désormais de façon quasi systématique jugé sans cause réelle ni sérieuse par un Conseil de prud'hommes si l'employeur n'est pas à même de démontrer que cette rupture de contrat de travail repose sur une évaluation objective du salarié. Sans parler de la prise en compte, dans les critères d'ordre d'un licenciement pour motif économique, du critère « qualités professionnelles » alors même qu'aucun système d'évaluation objectif des salariés n'a été mis en place ...
Plus généralement, l'évaluation du salarié est un outil managérial permettant de gérer la carrière du salarié et, plus largement, de gérer les carrières et les compétences dans l'entreprise.
Le compte rendu d'entretien d'évaluation tend donc à devenir une des pièces maîtresses des litiges en matière de licenciement mais également en matière d'égalité de traitement et de discrimination, voire de harcèlement moral et, plus généralement, dans toutes les matières où l'évaluation du salarié rentre en compte
Le compte rendu d'évaluation a une forme libre. Il retranscrit les termes de l'entretien qui se déroule généralement selon les étapes suivantes : bilan de l'année passée, appréciation des résultats du salarié (appréciation par le supérieur hiérarchique et auto-appréciation du salarié), fixation d'objectifs pour l'année suivante, appréciation des besoins de formation.
Les critères d'évaluation du salarié doivent être :
Objectifs,
Transparents,
Pertinents.
Objectif : l'employeur doit juger les compétences du salarié à réaliser des objectifs concrets et non évaluer des comportements où le risque de subjectivité est grand.
Le jugement du Tribunal de Grande Instance de Nanterre rendu le 5 septembre 2008 (n° RG 08/05737, jugement Wolters Kluwer France) est à ce titre très instructif.
Il a en effet jugé illicite un système de notation au motif que :
« S'il est normal que l'innovation et la responsabilité soient récompensées, il est pour le moins étonnant que tous les critères de comportement dont on voit bien la difficulté à les quantifier, entrent pour 50% dans la notation finale de telle sorte qu'en définitive, la notation ainsi instituée n'est ni proportionnée, ni objective, au regard d'une notation impartiale.
Et ainsi que le soulignent les demandeurs, une notation sur des critères aussi vagues ne peut qu'avoir un impact sur les conditions de travail des salariés dont l'importance est établie par le fait que l'évaluation a de nécessaires conséquences sur leur rémunération.
La multiplication de critères comportementaux détachés de toute effectivité du travail accompli implique la multiplication de performances à atteindre qui ne sont pas dénuées d'équivoques et peuvent placer les salariés dans une insécurité préjudiciable. Insécurité renforcée par l'absence de lisibilité pour l'avenir de l'introduction de nouveaux critères d'appréciation des salariés ce qui est préjudiciable à leur santé mentale. »
En définitive, il ne semble pas exclu pour l'employeur de pouvoir juger des qualités telles que l'innovation ou la responsabilité dans la mesure où :
ces qualités seront, autant que faire se peut, appréciées sur la base de critères objectifs et non pas sur la base de critères flous et indéterminés (précisons que dans l'affaire Wolters Kluwers, le critère de « responsabilité » par exemple était décrit pour les managers de la façon suivante : « s'engage à respecter les accords conclu et gère activement la chaine d'interdépendance en acceptant les responsabilités de son rôle au sein de cette chaine »),
et où (ii) ces qualités ne seront pas dominantes dans l'évaluation globale du salarié (dans l'affaire Wolters Kluwers, les critères de comportement entraient dans 50% dans la notation finale).
Transparent: l'employeur ne peut mettre en place un système d'évaluation de ses salariés qu'après l'intervention de plusieurs organes :
La CNIL, lorsqu'il y a traitement des données personnelles des salariés,
Le CHSCT, qui doit être consulté dès lors que l'entretien d'évaluation peut être générateur de stress (voir l'arrêt Cass. Civ.2, 1er juillet 2003 02-30576 qui a qualifié d'accident du travail une dépression survenue 2 jours après un entretien d'évaluation),
Le comité d'entreprise, qui doit être consulté en matière de rémunération (article L. 2323-27 du Code du travail), en matière de traitement automatisé des données du personnel et de contrôle de l'activité des salariés (article L. 2323-32 du Code du travail),
Les salariés (article L. 1222-3 du Code du travail).
Pertinent: les méthodes et techniques d'évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie (article L. 1222-3 dernier alinéa du Code du travail).
Il n'est bien sûr pas question d'avoir recours à des méthodes telles que la numérologie ou la cartomancie.
Attention cependant : mettre en place un système d'évaluation, c'est bien mais pas suffisant.
La lecture des termes du jugement précité permet ainsi de voir poindre les litiges afférents, non pas à l'absence d'évaluation ou à une évaluation jugée non objective et qui ne pourrait en conséquence être opposée par son employeur au salarié, mais à une évaluation source de préjudice pour la santé mentale de ce dernier ...
Au-delà même, donc, de la forte recommandation, pour les entreprises qui ne l'ont pas encore fait, de mettre en place un système d'évaluation des salariés, il est primordial que ce système soit le fruit d'une réflexion mûrie et concertée dès lors qu'il pourrait être retourné par les salariés contre leur employeur, lui faisant grief de ne pas avoir assuré leur santé et leur sécurité.
ANNEXE : Détail des textes
PREMIÈRE PARTIE : LES RELATIONS INDIVIDUELLES DE TRAVAIL
LIVRE II : LE CONTRAT DE TRAVAIL
TITRE II : FORMATION ET EXÉCUTION DU CONTRAT DE TRAVAIL
Chapitre II : Exécution et modification du contrat de travail
Section 1 : Exécution du contrat de travail.
Article L1222-1
Le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
Article L1222-2
Les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, à un salarié ne peuvent avoir comme finalité que d'apprécier ses aptitudes professionnelles.
Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l'évaluation de ses aptitudes.
Le salarié est tenu de répondre de bonne foi à ces demandes d'informations.
Article L1222-3
Le salarié est expressément informé, préalablement à leur mise en oeuvre, des méthodes et techniques d'évaluation professionnelles mises en oeuvre à son égard.
Les résultats obtenus sont confidentiels.
Les méthodes et techniques d'évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie.
Article L1222-4
Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance.
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