Cass. ass. plén. 25 juin 2014 n°13-28.369 (Voir mon billet du 25/11/2013)
Avant toute chose, rappelons l’historique.
Cass. Soc. 19 mars 2013 n°11-28.845 Arrêt Baby Loup = la Cour de Cassation distinguait selon la nature de l'employeur.
Baby Loup = Employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public :
le principe de laïcité n'est pas applicable à ses salariés
le principe de laïcité ne peut donc être invoqué pour ne pas appliquer le Code du travail
il faut donc appliquer pleinement le Code du travail qui prévoit notamment que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché (Cass. Soc. 19 mars 2013 n°11-28.845 Arrêt Baby Loup).
La Cour de Cassation en profitait pour stigmatiser l'insuffisance de rédaction du règlement intérieur de l'Association Baby Loup (« la clause du règlement intérieur, instaurant une restriction générale et imprécise, ne répondait pas aux exigences de l'article L. 1321-3 du code du travail) : employeurs, un conseil, veillez à la bonne rédaction de vos règlements intérieurs !
A contrario et pour une Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) = Employeurs de droit privé qui gèrent un service public :
le principe de laïcité est applicable à ses salariés, peu important que le salarié soit ou non directement en contact avec le public
le principe de laïcité peut donc être invoqué pour ne pas appliquer certaines dispositions du Code du travail,
la restriction instaurée par le règlement intérieur de la caisse était nécessaire à la mise en oeuvre du principe de laïcité de nature à assurer aux yeux des usagers la neutralité du service public (Cass. Soc. 19 mars 2013 n°12-11.690 Arrêt Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Seine-Saint-Denis).
En conclusion, cet arrêt de la Cour de Cassation faisait ressortir selon moi :
Pas de principe de laïcité pour une Educatrice de jeunes enfants/Directrice adjointe d'une crèche,
Mais principe de laïcité pour une Technicienne de prestations maladie de la CPAM sans contact avec les assurés.
Le droit et le bon sens ne faisaient pas forcément bon ménage !
CA Paris pôle 6 27 novembre 2013 Arrêt Baby Loup
Baby Loup = Employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public :
Illustrant le principe de la Cour de Cassation selon lequel les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché (Cass. Soc. 19 mars 2013 n°11-28.845 Arrêt Baby Loup), la Cour d’Appel juge que:
Association Baby Loup = mission d’intérêt général (développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et oeuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes sans distinction d’opinion politique et confessionnelle)
Protection de la liberté de pensée, de conscience et de religion à construire pour chaque enfant + respect de la pluralité des options religieuses des femmes accueillies = principe de neutralité légitime
Association Baby Loup = entreprise de conviction en mesure d’exiger la neutralité de ses employés
Formulation de cette exigence de neutralité dans le règlement intérieur suffisamment précise pour être entendue d’application limitée aux activités d’éveil et d’accompagnement des enfants (elle exclut les activités sans contact avec les enfants)
Les restrictions ainsi prévues sont donc justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnés au but recherché; elles ne portent pas atteinte aux libertés fondamentales, à la liberté religieuse et ne présentent pas de caractère discriminatoire
Arrêt de rébellion contre la Cour de Cassation comme l’entend l’avocat de la salariée concernée ? En tout cas, la Cour d’Appel a fait preuve d’un certain à-propos en reprenant les impératifs dégagés par la Cour de Cassation et en démontrant qu’en l’espèce, l’Association Baby Loup respectait ces impératifs.
Cass. ass. plén. 25 juin 2014 n°13-28.369
les restrictions à la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplie et proportionnées au but recherché
la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de lʼassociation et proportionnée au but recherché (un contrôle in concerto, au regard des éléments de l’espèce, a clairement été mené ... à la différence de la chambre sociale qui avait jugé la clause du règlement intérieur trop générale et donc illicite)
refus de la salariée d’accéder aux demandes licites de son employeur = licenciement pour faute grave justifié
Le principe de laïcité n’est toujours pas applicable à une entreprise de droit privé ne gérant pas un service public.
Mais l’Assemblée plénière a jugé surabondant la qualification « d’entreprise de conviction »: cela permettra sans doute l’extension à toute entreprise, dont la nature des tâches accomplies par les salariés l’impose, de restreindre leur liberté de manifester leurs convictions religieuses.
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